Vous exercez comme expert-comptable et dirigez une fiduciaire établie à Limal.
Quel est à votre avis le succès de la longévité de votre cabinet ?
- Etre professionnel(le) à tous points de vue
C’est quoi être professionnelle ?
- Aimer et/ou avoir de l’intérêt pour l’autre (en tant qu’entrepreneur) en personnalisant la gestion du dossier
- Etre travailleur /travailleuse dans le sens où on doit pouvoir consacrer parfois de longues journées de travail et certains samedi (pas le dimanche voir ci-après ;😉)
- Ne pas devoir limiter son temps de travail à 40 ou 50 h ou plus par semaine à certains moments de l’année
- Savoir aussi doser et se réserver au moins une journée « off » par semaine
- Aimer se former en continu dans des matières différentes (fiscalité, droit économique, droit des sociétés, législation sociale, comptabilité, gestion RH, organisation cabinet, gestion des réunions, gestion du temps, etc.)
- Savoir être seul /seule sur le « pont » mais …
- Ne pas hésiter à faire appel à des interlocuteurs externes pour des conseils, des échanges permettant d’avancer dans la réflexion quand une difficulté, une décision est à prendre/se présente
Pour moi, c’est savoir reconnaître avec humilité que l’on ne sait pas tout
- appel à des fiscalistes, des avocats, des notaires spécialisés dans certaines matières tout en étant attentif à l’impact sur le rendement du dossier,
- appel à mon mari qui n’est pas dans le domaine des chiffres mais a une grosse expérience manageriale pour son analyse, ses réflexions du type « que répondrais-tu dans tel cas ?
Mais choisir ses interlocuteurs (grâce aussi aux formations, conférences, aux réseaux, etc. auquel on participe) -> avoir un échange professionnel, efficace -> on progresse ensemble
- Avoir un bon équilibre privé/pro
- Faire du sport et
- Savoir prendre des vacances sans culpabiliser !!
Et aussi finalement parce que j’aime ce que je fais depuis plus de 30 ans
A quelles difficultés ou défis êtes-vous parfois confronté dans la gestion de votre fiduciaire ?
- Gestion RH en premier lieu (embauche, motivation équipe, Incentives, politque salariale etc.) : on n’a pas vraiment eu de formation en tant que pro du chiffre et pourtant c’est ESSENTIEL.
Je me suis aussi ponctuellement entourée de « spécialistes » RH mais le benchmark « fiduciaire » n’est pas d’un accès facile car le marché est assez peu ouvert ou trop spécifique des TPE/PME pour que les informations soient pertinentes par rapport à notre taille de cabinet. - Gestion des échéances légales pour une partie de la clientèle (un peu négligente voire très négligente, clients se débarrassant de l’ensemble des obligations sur les prof. Du chiffre) veille nécessaire pour rappels écrits et responsabilité dans le chef du dirigeant et non du prof du chiffre
- Evolution législative de tous ordres nécessitant tellement de mises à jour personnelles (+équipe) qu’il est humainement de plus en plus difficile de tout suivre (même si on a personnellement un intérêt pour les matières quelles qu’elles soient de la profession) ;
- Gestion offre clients … qui se tournent parfois sur des solutions 100 % digitales pour des prix … qui n’en sont pas
Ex.
- Vigilance constante dans la gestion du cabinet : facturation, suivi travail réalisé, communication clients, suivi paiements, etc.
Quelles sont à votre avis les clés d’une fiduciaire bien gérée ?
Les trois premiers sur le podium sont :
N°1
Attention centrée sur les membres de l’équipe qui COMPOSE le cabinet
N°2 (à même niveau que le numéro 1)
Attention centrée sur les attentes des clients
C’est-à-dire :
- Etre à l’écoute des besoins en tant qu’entrepreneur
- Essayer de les anticiper en fonction des contacts récents que l’on a eu
- Et/ou en fonction de ce que l’on sait de leur activité (récurrence de certaines jalons)
- Essayer de de proposer des solutions alternatives ou un panel de choix (reflet de notre réflexion à leurs côtés)
- Etayer par notre formation une lecture des chiffres orientés « besoins » clients
(= mettre en pratique avec une orientation « pédagogique » l’utilité de la « comptabilité » en tant que « tableau de bord de l’entreprise)
par ex. mettre en place une analyse trésorerie – cash-flow libre qui se compose du CF opérationnel/investissement/financement et expliquer au client (de manière pédagogique) ce que l’activité a généré comme trésorerie et ce à quoi elle a été utilisée vision transparente et horizontale sur plusieurs exercices
- client devient demandeur de ces informations
- Doser – selon le client – le niveau d’interactions nécessaires (relance, rendez-vous ponctuels, appels téléphoniques, etc.)
- A tout moment ETRE LIBRE (profession « libérale » dans le noble sens du terme) : dire ce que l’on pense avec respect et diplomatie mais le DIRE et confirmer par écrit ;😉
- Etre attentif aussi à certains moments importants pour le client (par ex la période covid pour certains secteurs et certains clients, problèmes ponctuels de santé ou aussi les moments plus particuliers tq anniversaires – pas besoin d’offrir des « cadeaux » mais prendre le temps d’écrire un message personnel le jour J)
N°3
Le cabinet est une entreprise comme une autre : il faut donc attacher une importance première à la bonne gestion de l’entreprise. Une « bonne » gestion de l’entreprise comprend la gestion « commerciale », la gestion RH, la gestion financière, de la stratégie et planification, la gestion budgétaire, de la R & D, la gestion IT, etc.)… ce qui fait du dirigeant d’une TPE /PME souvent un « homme-orchestre » (ou femme orchestre mais bon les femmes savent déjà faire plein de choses en même temps … donc ce n’est pas nouveau pour elles :😊)
Voyez-vous une évolution dans les relations avec l’administration fiscale ces dernières années ?
Effectivement, un changement s’opère actuellement, changement qui s’est accéléré avec la période de la pandémie. Les contacts sont dépersonnalisés et quasi automatisés pour le contribuable face à une administration déficiente mais toute puissante en termes de sanctions.
En quantité, nous constatons moins de contrôles fiscaux de tous types depuis plusieurs années : parallèlement, le SPF Finances a imposé l’Informatisation (et l’IA n’est pas encore au bout de ses possibilités) sans réelle concertation avec les usagers (contribuables ou pro du chiffre). Or, les moyens technologiques de l’Administration sont très souvent défaillants ou mal conçus voire incomplets. Les accès à l’Administration sont disparates, nécessitant l’accès à différentes plateformes qui ne communiquent que très peu entre elles.
Au sein des cabinets, cela nécessite des adaptations conséquentes en gestion et organisation du travail et information des clients.
C’est un report d’une charge de travail conséquente en dehors du SPF Finances sur les pro du chiffre.
Nous devons en même temps être attentif à ce que les clients ne nous voient pas uniquement comme un relais (dont ils doivent supporter le coût ) en lieu et place d’une Administration défaillante.
Notre cœur de métier, ce n’est pas cela !!!
Ce Changement législatif et/ou organisationnel a été imposé sans vraie discussion démocratique ou à tout le moins un échange entre les trois parties (contribuables, professionnels et fédéral)
Ex ; Backup intégral comptabilité exigé en cas de contrôle à distance
Plus de numéro de téléphone de contact près du SPF Finances
Le respect GDPR pose pas mal de problèmes et de questions quand les informations circulent ainsi par mail
Ex. réponse avis de rectif ou demande de renseignement via MyMinfin sans accusé de réception et en même temps le contrôleur nous dit ne pas pouvoir prendre connaissance des annexes digitalisées via le site alors que ce mode de communication nous est imposé.
D’autres exemples :
-
- non accès ou difficultés d’accès par le pro du chiffre à des informations importantes
- divers documents fiscaux du fait par ex. de la régionalisation (ex. Prec Immobilier régionalisé )
- absence totale de réponse d’une administration régionale ou fédérale parfois/souvent défaillante,
- obligation d’aller consulter E Box pour finalement devoir aller ensuite vers MyMinFin et en plus envoi courrier doublon de l’E Box,
- Rappel intempestif de déclarations UBO pour sociétés liquidées,
- Ajout d’obligations d’informations (tq. Par ex. le détail des frais et remboursements de frais sur les fiches fiscales 281)
L’équilibre entre nos obligations en terme de respect de délai et celles de l’Administration fiscale est totalement absent.
- Absence de respect d’un délai de réponse de la part de l’Administration alors que nous sommes obligés de respecter strictement les délais de tout type
- Absence de plateformes informatiques imposées par le SPF qui soient vraiment opérationnelles
- Absence de respect des procédures de la part de l’Administration (par ex. lors de contrôles fiscaux, lors de plainte au pénal)
Dans le cadre d’une saine gestion, il faut pouvoir anticiper.
Or, c’est absolument impossible au regard des changements législatifs accélérés ces dernières années.
Cette absence de possibilité d’anticipation pour le contribuable aboutit à une vision court-termiste (qui est la seule possible) étant donné ces modifications législatives continuelles.
Il serait normal de connaître dès le 1er janvier 2022, comment chaque contribuable va être taxé et à quelles réductions/déductions il peut avoir droit : publier au MB la déclaration qui devra être remplie pour les revenus 2022 en 2023 a dénué de toute logique, sauf à remplir les caisses de l’Etat.
Quels sont les principaux défis qui attendent les experts comptables dans les années à venir ?
- L’IA et l’adaptation de l’organisation de la gestion du travail
- Les relations au sens large avec les Pouvoirs Publics
- La responsabilité professionnelle de plus en plus mise en cause à tout propos
- La raréfaction de la main-d’œuvre, la qualité de la main d’œuvre et… l’accroissement du coût de celle-ci face au prix de vente des prestations de service
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui débutent la profession d’expert-comptable ?
Franchement, je vois dans l’avenir une profession multiforme et en constante évolution.
C’est avant tout une activité de « conseils » aux entreprises non teintés de conflits d’intérêts (tq. Par ex. les banquiers, assureurs et autres plateformes digitales « comptables »).
Le pro du chiffre est à la fois un généraliste de l’entreprise mais aussi un spécialiste au fil de sa carrière et des expériences qu’il accumule. On apprend constamment.
On est face à des clients de tout secteur, avec des demandes à laquelle il faut être en mesure d’apporter une réponse soit soi-même soit par un relais extérieur.
Il touche à des domaines très variés dont l’informatique est une des composantes qui prend de plus en plus une place privilégiée. Mais derrière tout écran, tout clavier, il y a une intervention humaine qui doit être perçue comme essentielle au fil de la relation.
Mais surtout un pro du chiffre a le sentiment au bout de qq. années de carrière d’être une vraie valeur ajoutée pour l’entrepreneur qui se tourne de plus en plus vers son pro du chiffre comme homme « orchestre » .
Le pro du chiffre est lui-même personne ressource, centre du réseau qui va guider l’entrepreneur en fonction des moments clés de sa carrière.
Personnellement, je n’ai pas peur de l’avenir pour un jeune qui voudrait démarrer pour autant
- qu’il soit prêt à s’investir en quantité de travail, en formation et
- qu’il aime le contact avec l’Autre au sens large.
Démarrer sa carrière au sein d’un gros cabinet ne donne qu’une vision partielle de ce qu’est la profession : en effet, les gros cabinets démotivent rapidement les jeunes en début de carrière en les chargeant d’une quantité de travail, souvent limité à des tâches peu agréables. Ceux-ci privilégient trop souvent ces grosses entreprises du chiffre car ils sont attirés par des offres financièrement souvent plus lucratives que ce que peuvent offrir des cabinets de plus petite taille. Mais rien n’est gratuit, dès l’entame de leur carrière dans un grand cabinet, le jeune est taillable et corvéable.
Si on regarde ce problème de manière élargie, le prix à payer porte sur l’ensemble de la communauté : les petites entités n’arrivant plus à trouver du personnel, vont devoir augmenter leur tarif, écrémant de fait une partie de clients qui vont soit devoir assumer les obligations comptables et fiscales tant que faire soit se tourner vers des app qui semblent donner une réponse à tout mais qui ne seront jamais qu’une réponse partielle.
De plus, celui qui démarre est très souvent cloisonné dans certains segments du métier. Cela ne permet pas un apprentissage à 360 °.
Dans un cabinet type TPE ou PME par contre, on est mis à toutes les sauces : l’autonomie dans les tâches à réaliser est souvent plus épanouissante. Faire carrière dans un plus petit cabinet, c’est peut-être renoncer dans un premier temps à (un peu) plus d’argent pour une meilleure qualité de vie (immédiatement) mais surtout une plus large expérience professionnelle à moyen et long terme et une carrière plus épanouissante.
Etre intellectuellement intéressé par la vie économique est un critère essentiel à mes yeux. Il y aura toujours de la place pour un conseil de qualité, personnalisé et qui sera payé à un prix correct, en tout cas suffisamment rémunérateur au regard de celui qui s’investit suffisamment.